Dans un monde où la musique est à portée de clic, il est facile d’oublier le travail acharné et les sacrifices qui se cachent derrière chaque morceau. Pourtant, lorsque Daniel Ek, PDG de Spotify, a déclaré que « le coût de création de contenu est proche de zéro », il a déclenché une vague d’indignation dans l’industrie musicale. Les artistes, en particulier les indépendants, se sont sentis trahis et sous-estimés. Dans cet article, nous allons plonger au cœur de cette controverse et révéler la vérité sur les coûts réels de la création musicale.
Je souhaite vous montrer l’envers du décor, les véritables coûts de production pour les artistes indépendants, les conditions économiques précaires auxquelles nous faisons face, et comment les modèles économiques des plateformes de streaming pénalisent ceux qui ne bénéficient pas des soutiens des grandes maisons de disques.
Il est crucial de comprendre que notre travail va bien au-delà de la création de simple « contenu ». Il s’agit de musique, d’une certaine forme d’art, de l’expression personnelle qui mérite du respect et une rémunération équitable.
Les Coûts Cachés de la Création Musicale : Un Gouffre Financier pour les Artistes Indépendants
Contrairement à ce que suggère Daniel Ek, créer de la musique est loin d’être gratuit. Les artistes indépendants doivent investir des sommes considérables dans les instruments, l’équipement d’enregistrement, les logiciels et les accessoires. Un microphone de studio professionnel peut coûter plusieurs milliers d’euros, sans parler des instruments et les logiciels. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.
Louer un studio d’enregistrement et engager des ingénieurs du son et des musiciens peut facilement coûter plus de 10 000 euros pour un projet d’EP. Le mixage et le mastering, essentiels pour un son de qualité, ajoutent encore des centaines d’euros par morceau. Et n’oublions pas le temps investi dans l’écriture, la composition et les répétitions, qui se compte en mois, voire en années, sans aucune compensation financière.
Une fois le projet enregistré, on pourrait penser que les dépenses sont terminées. Pourtant, il faudra encore mettre la main au portefeuille :
- La création de la pochette de l’album, des photos promotionnelles et du matériel visuel peuvent coûter plusieurs centaines d’euros.
- Sans une campagne marketing adéquate, même le meilleur album peut passer inaperçu. Les coûts de marketing, incluant les publicités sur les réseaux sociaux, la promotion via des attachés de presse, et autres, peuvent facilement atteindre plusieurs milliers d’euros.
- Evidemment, à l’heure de Youtube, même sans passage télé, on ne peut se passer d’un clip. Pour un EP, il en faudra tourner deux ou trois clips, avec un coût qui va de 3000 à … tout plein de milliers d’euros.
Pour les artistes indépendants, ces coûts représentent un véritable gouffre financier. Sans le soutien d’une maison de disques, ils doivent assumer seuls ces dépenses, souvent en s’endettant ou en sacrifiant leur qualité de vie.
Beaucoup doivent cumuler plusieurs emplois pour financer leur passion, au détriment de leur créativité et de leur bien-être mental. Comme le confie Marie, auteure-compositrice-interprète : « J’ai dû travailler comme serveuse pendant des années pour payer mon premier EP. C’était épuisant physiquement et émotionnellement, mais je n’avais pas le choix si je voulais réaliser mon rêve.«
Bien entendu, des aides existent … Cependant, la répartition des aides publiques à la création soulève des questions d’équité. Comme le souligne la Cour des comptes, une part significative de ces aides est attribuée à des artistes déjà bien établis, dont la notoriété et la viabilité financière ne sont plus à prouver.
Par exemple, en 2021, Florent Pagny, fort de plus de 35 ans de carrière, a reçu 271 000 euros d’aides. De même, Bernard Lavilliers, avec près de 60 ans de carrière, a bénéficié de 120 000 euros. Des artistes comme Benjamin Biolay et Juliette Armanet, dont la renommée est solidement établie, ont respectivement reçu 119 000 et 154 000 euros.
Encore plus surprenant, Johnny Hallyday, décédé en 2017, a continué de recevoir des aides substantielles, totalisant 333 890 euros entre 2019 et 2022.
Pendant ce temps, de nombreux artistes émergents peinent à obtenir ne serait-ce que quelques centaines d’euros pour financer un clip vidéo. Cette répartition déséquilibrée des ressources publiques exacerbe les inégalités dans l’industrie musicale et limite les opportunités pour les talents émergents de développer leur art et leur carrière.
Saviez-vous que seuls 12,8% des artistes indépendants peuvent se permettre de presser leurs propres vinyles en raison des coûts prohibitifs ?
La Précarité des Artistes : Une Réalité Alarmante à l’Ère du Streaming
Malgré tous ces investissements, la majorité des artistes indépendants vivent dans une précarité financière alarmante. Selon l’Insee, 51% des artistes en France gagnent moins de la moitié du SMIC annuel et 28% vivent sous le seuil de pauvreté. Les revenus de la musique sont souvent sporadiques et insuffisants, obligeant de nombreux artistes à cumuler plusieurs emplois pour joindre les deux bouts.
Cette instabilité financière rend difficile la concentration sur la création musicale et ajoute une pression démotivante. Les artistes dépendent de multiples sources de revenus, comme les concerts, le merchandising et les droits d’auteur, mais ces opportunités ne sont pas toujours régulières ni faciles à sécuriser. De plus, de nombreux artistes manquent de ressources pour accéder à des réseaux professionnels ou à des aides financières, exacerbant leur situation précaire.
Pour les artistes, cette précarité est un fardeau quotidien qui pèse sur leur santé mentale et leur créativité. Comme le raconte Julien, bassiste dans un groupe de rock indépendant : « Je ne compte plus les nuits blanches passées à me demander comment je vais payer mon loyer ou acheter à manger. Cette angoisse constante me paralyse et m’empêche de me concentrer sur ma musique. C’est un cercle vicieux.«
Les Plateformes de Streaming : Un Modèle Économique Défavorable aux Artistes Indépendants
Les plateformes de streaming comme Spotify ont révolutionné la distribution et la consommation de musique, mais leur modèle économique pose de sérieux défis aux artistes indépendants.
Des plateformes populaires mais peu rémunératrices
La grande majorité des artistes indépendants touchent moins de 1000€/an de revenus via ces plateformes. La rémunération par stream est dérisoire, souvent une fraction de centime par écoute.
En effet, Spotify rémunère en moyenne les artistes entre 0,0021€ à 0,0035€ par stream. Cela signifie que pour 1000 streams, un artiste toucherait entre 2,1€ à 3,5€ de revenus.
Cependant, depuis le début de l’année 2024, Spotify ne verse des redevances que pour les titres ayant atteint au moins 1000 streams sur les 12 derniers mois. En dessous de ce seuil, aucun revenu ne sera généré pour l’artiste.
Cette règle concerne environ 80% des morceaux disponibles sur Spotify, qui n’atteignent pas ce seuil, signifiant que la majorité des artistes pourraient ne pas recevoir de rémunération pour leur travail.
Pour vivre du streaming musical, il faut viser des chiffres inatteignables
Avec un taux aussi faible par stream, il faudrait environ 1 million de streams pour qu’un artiste génère entre 2100 à 2800€ de revenus. Un montant très insuffisant pour vivre de sa musique.
De plus, les algorithmes de recommandation favorisent les artistes déjà populaires ou signés par de grandes maisons de disques, rendant difficile pour les indépendants de gagner en visibilité. Cette dynamique pourrait décourager la prise de risques créatifs et nuire à la diversité musicale, en poussant les artistes à se conformer aux goûts dominants pour maximiser leurs chances de succès.
Les gros médias généralistes sont également réticents à couvrir les artistes indépendants émergents, limitant encore davantage notre visibilité et notre capacité à générer des revenus suffisants. Comme la publicité règne dans le domaine des médias, l’objectif des radios nationales et des chaines de télévision est de garder l’attention des auditeurs jusqu’à la prochaine séquence publicitaire. Autant miser sur des gros artistes que les gens connaissent pour être certain de les garder captifs.
Ce système, qui favorise la quantité sur la qualité et concentre les revenus sur un petit nombre d’artistes ultra-populaires, crée un environnement extrêmement difficile pour les artistes indépendants qui cherchent à vivre de leur musique.
Pour les artistes, ce modèle économique est profondément injuste et démotivant. Comme l’explique Sophie, chanteuse de jazz indépendante : « Je passe des mois à créer un album, à y mettre tout mon cœur et mon âme, et au final je gagne à peine de quoi m’acheter un café grâce au streaming. C’est humiliant et décourageant. J’ai parfois l’impression que mon travail n’a aucune valeur.«
Spotify nous a fait passer de la « musique » au « contenu »
Les algorithmes des plateformes de streaming favorisent largement les artistes signés par des majors, au détriment des indépendants. Les playlists générées automatiquement et les recommandations ont tendance à promouvoir les artistes les plus populaires, ceux qui génèrent déjà des millions d’écoutes .
« Ce modèle a tellement évolué que les producteurs ne peuvent plus suivre les normes de production. Produire un album coûte toujours autant qu’il y a 30 ou 40 ans, ce qui est normal puisque l’on paye les gens, je dois quand même le rappeler : on rémunère les artistes. Le sujet principal c’est de produire et de ne pas être rémunéré en face alors que le produit, la musique, est vendue par des personnes qui n’ont pas forcément un modèle équitable de répartition des royautés« .
L’avènement des plateformes de streaming, en particulier Spotify, a fondamentalement transformé la façon dont nous percevons, consommons et valorisons la musique.
Spotify, avec son modèle basé sur l’abonnement et le streaming, a accéléré la commodification de la musique. En rendant des millions de morceaux instantanément accessibles pour un coût mensuel fixe, la plateforme a diminué la valeur perçue de chaque morceau individuel.
Le modèle économique de Spotify, basé sur le nombre de streams, a placé l’accent sur la quantité plutôt que sur la qualité. Les artistes sont incités à produire plus de morceaux et à les rendre aussi « streamables » que possible, souvent au détriment de l’intégrité artistique.
Cette pression pour créer du « contenu » qui génère un maximum de streams a conduit à une homogénéisation de la musique, les artistes cherchant à s’adapter aux goûts dominants plutôt qu’à innover ou à expérimenter.
La Dévaluation du Processus Créatif
En qualifiant la musique de simple « contenu », Spotify et ses dirigeants ont minimisé le processus créatif complexe et souvent coûteux qui sous-tend chaque morceau. Cette rhétorique ignore le temps, l’énergie émotionnelle, et les ressources financières que les artistes investissent dans leur art.
Cette dévaluation du processus créatif se reflète dans les faibles taux de rémunération par stream, qui ne tiennent pas compte de la valeur intrinsèque de la musique ou de l’investissement des artistes dans leur travail.
Vous la voyez arriver la prochaine étape ? Puisqu’il s’agit de contenu, une simple IA peut tout à fait faire le job et cela ferait baisser les coûts de production pour les majors … et Spotify pourrait même devenir créateur de ses propres contenus générés par l’IA.
Transparence et Répartition des Royalties
Le manque de transparence sur la répartition des royalties est un autre point de friction majeur. Les artistes et labels indépendants peinent à suivre comment et quand leurs morceaux génèrent des revenus, et les taux de répartition sont souvent flous.
Les labels indépendants, qui tentent de suivre les normes de production, sont pénalisés par ce modèle économique. Ils ne reçoivent pas une rémunération proportionnelle aux revenus générés par la vente de leur musique, ce qui limite leur capacité à réinvestir dans de nouveaux projets et à soutenir leurs artistes.
Comparaison avec les Majors
Les majors, grâce à leurs ressources financières et leur pouvoir de négociation, obtiennent des conditions bien plus favorables. Elles peuvent investir massivement dans la promotion et la visibilité de leurs artistes, ce qui amplifie encore plus l’écart avec les indépendants. En conséquence, même les artistes talentueux peinent à se démarquer dans cette mer de propositions musicales. La saturation de l’offre musicale complique encore davantage la tâche des indépendants pour se faire une place au soleil.
Les plateformes de streaming, au service de la musique ?
Les plateformes de streaming arguent souvent que leur modèle a démocratisé l’accès à la musique et offert de nouvelles opportunités aux artistes indépendants. Elles soulignent que les artistes peuvent désormais toucher un public mondial sans avoir besoin du soutien d’une maison de disques.
Cependant, cette démocratisation apparente masque une réalité plus sombre : si l’accès est en effet plus large, la visibilité et les revenus restent concentrés sur un petit nombre d’artistes populaires.
De plus, l’argument selon lequel les revenus du streaming viennent compléter d’autres sources de revenus, comme les concerts et le merchandising, ne tient pas compte du fait que ces opportunités ne sont pas accessibles à tous les artistes, en particulier les indépendants qui peinent à se faire connaître.
Enfin, l’idée que les faibles taux de rémunération par stream sont compensés par le volume ne résiste pas à l’analyse : avec des fractions de centime par écoute, même des millions de streams ne suffisent pas à générer un revenu décent pour la plupart des artistes.
Vers un Avenir plus Juste : Des Solutions pour Soutenir les Artistes Indépendants
Pour rendre l’industrie musicale plus équitable, des réformes structurelles sont nécessaires. Les plateformes de streaming doivent réévaluer leurs taux de rémunération, en prenant en compte la qualité et l’originalité de la musique. Elles pourraient investir dans des infrastructures pour les artistes, comme des « Spotify Houses » où ils pourraient enregistrer et collaborer à moindre coût.
La promotion des artistes indépendants doit être renforcée, avec des initiatives spéciales comme des playlists dédiées et des événements en direct. Une plus grande transparence sur la génération et la distribution des revenus est essentielle, ainsi qu’une renégociation des contrats de droits d’auteur pour une rémunération plus juste.
Pour les artistes, ces changements sont vitaux pour leur survie et leur épanouissement créatif. Comme le souligne ce jeune rappeur : « Nous ne demandons pas la lune, juste une reconnaissance de notre travail et une rémunération décente. Nous voulons pouvoir vivre de notre art sans avoir à sacrifier notre intégrité ou notre santé mentale. C’est une question de respect et de justice.«
Bien sûr, réformer un système aussi complexe et établi que l’industrie musicale n’est pas une tâche aisée. Les plateformes de streaming résisteront sans doute à l’idée de réévaluer leurs taux de rémunération, arguant que cela mettrait en péril leur modèle économique. Cependant, avec une pression concertée des artistes, des labels indépendants, et du public, il pourrait être possible de les amener à la table des négociations.
Des changements législatifs pourraient également être nécessaires pour garantir une plus grande transparence et une répartition plus équitable des revenus. Cela nécessitera un lobbying actif et un soutien des décideurs politiques.
Enfin, pour que ces réformes soient vraiment efficaces, il faudra un changement de mentalité au sein de l’industrie et parmi les consommateurs : reconnaître la valeur intrinsèque de la musique et soutenir activement les artistes indépendants. C’est un défi de taille, mais avec une mobilisation collective et une vision à long terme, il est possible de créer un écosystème musical plus juste et durable pour tous.
Conclusion
Les paroles de Daniel Ek ont mis en lumière les défis économiques auxquels sont confrontés les artistes indépendants à l’ère du streaming. Créer de la musique est loin d’être gratuit et nécessite des investissements considérables en temps, en énergie et en argent. Pourtant, la plupart des artistes vivent dans une précarité financière alarmante, exacerbée par un modèle économique de streaming qui les défavorise.
Il est temps pour l’industrie musicale, mais aussi pour nos institutions, de reconnaître la valeur réelle de la musique et de ceux qui la créent. En travaillant ensemble pour améliorer les conditions économiques des artistes, nous pouvons construire un écosystème musical plus juste, diversifié et durable.
Car sans les artistes et leur passion inébranlable, notre monde serait un endroit bien silencieux et terne. Il est temps de faire entendre leurs voix et de leur donner les moyens de continuer à nous émouvoir, nous inspirer et nous faire rêver.
Et un dernier mot : soutenez vos artistes !
Auteur-compositeur-interprète, Stephan Paul se distingue par ses sonorités bluesy, folk / rock et ses paroles touchantes. Son premier EP "Dualités" et le single "Je ne suis qu'un homme" sont disponibles sur toutes les plateformes. Son prochain EP "Absinthe" sera disponible dès septembre.
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