En 2024, le marché de la musique en France continue de vibrer au rythme des passions et des innovations. Véritable pilier de la vie culturelle et économique de l’Hexagone, l’industrie musicale française ne cesse de se réinventer pour s’adapter aux défis de l’ère numérique.
Des artistes emblématiques aux nouvelles pépites, la scène musicale française rayonne par sa créativité et sa diversité, portée par un écosystème dynamique et résilient. Mais quelles sont les dernières statistiques et les chiffres clés qui caractérisent ce marché en pleine mutation ?
C’est tout l’objet de cet article qui propose un tour d’horizon complet du marché de la musique en France en 2024. À travers une analyse fine des dernières données et tendances clés, nous dresserons un état des lieux exhaustif du secteur, de la production à la consommation en passant par la diffusion et la valorisation des œuvres.
Ventes de musique enregistrée, spectacle vivant, rémunération des artistes, pratiques d’écoute… Nous passerons en revue tous les maillons de la chaîne de valeur pour mieux comprendre les enjeux et les défis qui animent cette industrie en pleine mutation.
L’occasion aussi de mettre en lumière les spécificités du modèle français, les success stories qui l’incarnent et les perspectives d’évolution qui se dessinent pour les années à venir.
Le marché de la musique en France retrouve des couleurs
Après une année 2020 marquée par la crise sanitaire, le marché français de la musique enregistrée a renoué avec une croissance dynamique en 2022 avec un chiffre d’affaires global du secteur atteignant 920 millions d’euros, en progression de 6,4% par rapport à 2021.
En 2023, selon les chiffres publiés par le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), le chiffre d’affaires global du marché français de la musique enregistrée a atteint 968 millions d’euros. Cela représente une hausse de 5,1% par rapport à l’année précédente.
Sur une plus longue période, le marché hexagonal a connu des hauts et des bas. Après avoir touché un point bas en 2016 à 583 millions d’euros, les ventes de musique enregistrée ont enchaîné depuis sept années de croissance ininterrompue.

Cependant, malgré ce rebond, le niveau atteint en 2023 ne représente que 53% du pic historique enregistré en 2002. Un constat qui relativise l’ampleur de la reprise.
Ainsi, malgré une dynamique de croissance continue depuis 7 ans, portée par l’essor du streaming, le marché français de la musique enregistrée reste en 2023 loin de ses niveaux historiques du début des années 2000. Son chiffre d’affaires reflète un rythme de croissance qui tend à s’éroder ces dernières années selon le SNEP.

Le streaming, moteur de la croissance
La répartition des revenus par format illustre la profonde mutation du marché français à l’ère numérique. En 2023, le streaming audio a généré à lui seul 609 millions d’euros, soit les trois quarts (74,7%) du chiffre d’affaires total. Un segment en progression de 9,5% sur un an, porté par la hausse continue des abonnements payants.
Cette croissance est portée par la progression continue du nombre d’abonnements payants aux services de streaming musical comme Spotify, Deezer ou Apple Music. La France compte désormais 12 millions d’abonnés premium fin 2023, soit 1 million de plus en un an.
À l’inverse, les ventes physiques poursuivent leur déclin. Nous avions vécu un sursaut furtif en 2021, pour repartir à la baisse dès 2022 (-12%) pour s’établir à 197 millions d’euros. En 2023, les ventes physiques (CD, vinyles) sont restées relativement stables, avec une légère baisse de 1,2% par rapport à 2022.
Elles ont généré un chiffre d’affaires de 194 millions d’euros, dont 96 millions pour les CD qui passent pour la première fois sous la barre des 100 millions. Les ventes physiques représentent désormais près d’un quart (24%) du CA total du marché de la musique enregistrée en France.
Bonne nouvelle pour le vinyle qui poursuit sa progression, sans fulgurances, rapportant 94 millions d’euros (89 millions d’euros en 2022). Il représente désormais 45% des ventes physiques contre moins de 1% il y a dix ans. Le phénomène s’essouffle un peu sous l’effet de l’inflation.
Néanmoins, s’il poursuit sa lente progression, 2024 devrait être la première année où le vinyle supplanterait les ventes de CD en France.
Enfin, soulignons que les premiers acheteurs de supports physiques ont moins de 35 ans et cela reste un signe intéressant à suivre à l’avenir.

Les majors de la musique conservent leur emprise sur le marché français en 2023
En 2023, le marché de la musique en France reste largement dominé par les trois géants de l’industrie musicale : Universal Music, Sony Music et Warner Music. Malgré une légère érosion de leur part de marché, passant d’environ 80% en 2022 à près de 75% en 2023, ces majors concentrent toujours la grande majorité des ventes dans l’Hexagone.
Si les labels indépendants sont à l’origine de 80% des contenus musicaux produits, ils peinent à capter une part significative des revenus générés par le secteur. En effet, les 25% de CA du marché restants se répartissent entre ces acteurs indépendants, qui font face à des difficultés structurelles pour peser face aux géants de l’industrie.
Néanmoins, le premier trimestre 2024 affiche des résultats encourageants pour les trois majors, avec un chiffre d’affaires cumulé en hausse de 12,26%, atteignant 6,52 milliards de dollars. Certains labels indépendants tirent également leur épingle du jeu, à l’image de Believe qui prévoit de clôturer l’année 2023 avec plus de 850 millions d’euros de chiffre d’affaires, enregistrant une croissance à deux chiffres. D’autres acteurs, comme Wagram Music ou Because Music, connaissent également de belles réussites.
Malgré ces succès ponctuels, les labels indépendants restent globalement en difficulté face à la puissance des majors. Leur importante contribution à la diversité de la création musicale ne se traduit pas par une captation significative des revenus du secteur, soulignant un déséquilibre persistant sur le marché français de la musique en 2023.

10 labels indépendants parmi les plus influents en France en 2023
- Capitol Music France – Bien que filiale d’Universal Music, Capitol se comporte comme un label indépendant avec sa structure Millenium. Il représente 6% des streams en France avec plus de 530 titres. Il a dans son écurie certains des plus gros vendeurs de rap comme Booba, Maes, Fianso…
- Because Music – Cité comme l’un des labels indépendants français ayant de belles réussites face aux majors.
- Wagram Music – Une des principales maisons de disques indépendantes françaises, très présente dans le rap avec des artistes comme Orelsan, Gringe, Lonepsi, Simony… Wagram intervient aussi comme distributeur.
- Believe – Considéré par certains comme la 4ème major, ce nouvel acteur s’est affirmé au cours de la dernière décennie. Le label prévoit un chiffre d’affaires de plus de 850 millions d’euros en 2023.
- Tôt ou Tard – Label indépendant influent même si Wagram a cédé ses parts en 2018 pour financer son développement.
- Naïve Records
- Versatile Records
- Cracki Records – Label indépendant de musiques actuelles basé à Bordeaux, incontournable pour les artistes indés/alternatifs.
- La Souterraine – Autre label indé influent dans les musiques alternatives et expérimentales.
- Chinese Man Records – Label indépendant spécialisé dans le hip-hop et les musiques électroniques, basé à Marseille. Artistes phares comme Chinese Man, Scratch Bandits Crew…
Bien qu’il soit difficile d’établir un classement précis, ces 10 labels ressortent comme des acteurs majeurs et influents de la scène musicale indépendante française actuelle, dans des styles allant du rap aux musiques alternatives en passant par l’électro. Ils contribuent fortement à la vitalité et la diversité de la production hexagonale face aux majors.

Des défis qui restent à relever
Si le marché français est sur la bonne voie, plusieurs défis restent à relever pour consolider la croissance. Le premier d’entre eux est d’élargir la base d’utilisateurs du streaming payant. Avec un taux de pénétration de seulement 16%, la France accuse un retard certain sur ses voisins comme le Royaume-Uni (26,5%) ou l’Allemagne (17,5%). Un écart qui pèse sur les revenus du secteur.
Autre enjeu de taille : assurer une meilleure rémunération des artistes à l’heure du streaming. Malgré la croissance des revenus, la grande majorité des musiciens peinent toujours à vivre de leur art. Selon des estimations, seuls 1% des artistes concentrent 90% des écoutes en streaming. Une situation intenable à long terme qui appelle une réforme en profondeur du modèle économique et une répartition plus équitable de la valeur.
Enfin, le marché français doit aussi composer avec la concurrence frontale des plateformes de streaming vidéo comme TikTok ou YouTube. Ces acteurs captent une part croissante du temps d’écoute des utilisateurs, notamment chez les plus jeunes, sans pour autant reverser des revenus significatifs à l’industrie musicale. Un manque à gagner qui pourrait peser sur la croissance future du secteur.
Malgré ces défis, l’industrie musicale française a des atouts à faire valoir. Portée par le dynamisme de la scène rap et hip-hop, la production hexagonale s’exporte de mieux en mieux, en témoigne le succès planétaire d’artistes comme Aya Nakamura ou Ninho. De quoi nourrir l’espoir d’un retour durable de la croissance dans les années à venir.
2. Le secteur du live et du spectacle musical en 2024
2.1 Statistiques des concerts et spectacles en France
En 2022, le chiffre d’affaires de la billetterie des spectacles musicaux en France a atteint 1,146 milliard d’euros, franchissant pour la première fois la barre symbolique du milliard d’euros. Cela représente une hausse de 17% par rapport au niveau record de 2019 (980 millions d’euros) d’avant la crise sanitaire.
Cette forte progression est à nuancer cependant selon les contextes de diffusion et compte tenu des contraintes économiques qui pèsent sur la filière. En effet, si la fréquentation a aussi progressé de 7% par rapport à 2019 pour atteindre 32 millions d’entrées, la croissance des recettes s’explique aussi par une hausse généralisée du prix moyen du billet de 9%.
Les concerts ont concentré en 2022 la moitié du public du spectacle vivant en France et généré plus de la moitié des recettes de billetterie totales du secteur (1,7 milliard d’euros). Ils représentent aussi les plus grandes jauges (570 spectateurs en moyenne) et les tarifs les plus élevés (38€ en moyenne).
Cette reprise dynamique en 2022 succède à deux années noires pour le spectacle vivant musical, dont les revenus s’étaient effondrés de 83% en 2020 et 73% en 2021 sous l’effet des annulations et reports massifs liés au Covid. Le chiffre d’affaires retrouve donc des couleurs mais n’atteint encore que 53% de son niveau record de 2002.
Les premiers chiffres disponibles pour 2023 confirment la bonne orientation du marché, avec des recettes de billetterie en hausse de 100 millions d’euros au 1er trimestre par rapport à 2019. Mais la croissance pourrait marquer le pas, dans un contexte économique plus incertain lié à l’inflation.

2.2 Les festivals de musique en France
La France est une véritable terre de festivals, avec 7 282 événements recensés en 2022 selon une étude du ministère de la Culture. Ce chiffre est sans commune mesure avec ce qui est constaté dans des pays voisins comme l’Italie (environ 2 000 festivals), l’Allemagne ou le Royaume-Uni (autour de 1 000 chacun).
En 2023, la fréquentation des festivals de musiques actuelles a atteint un nouveau record avec 7 745 000 participants sur les 100 plus grands événements en France métropolitaine, soit une hausse par rapport aux 7 390 000 festivaliers de 2022. Cela représente une fréquentation moyenne par jour et par festival de 17 400 personnes. Des grands rendez-vous populaires comme les Vieilles Charrues, le Hellfest ou Rock en Seine aux festivals plus confidentiels, l’offre est d’une grande diversité en termes de genres (rock, électro, jazz, classique…), de formats (plein air, salles…) et de publics.
Les concerts ont concentré en 2022 la moitié du public du spectacle vivant en France et généré plus de la moitié des recettes de billetterie totales du secteur (1,7 milliard d’euros). Ils représentent aussi les plus grandes jauges (570 spectateurs en moyenne) et les tarifs les plus élevés (38€ en moyenne).
Cependant, malgré ce retour en force du public, 43% des festivals ont fini la saison 2023 en déficit selon le Syndicat des Musiques Actuelles (SMA). Avec des réserves propres s’élevant en moyenne à 191 000€, le déficit moyen s’établit à 115 400€. La hausse générale des coûts liée à l’inflation (cachets artistiques, énergie, salaires, assurances…) pèse lourdement sur les comptes.
Donc si 2023 marque le retour tant attendu des festivaliers après deux années noires en 2020 et 2021, la situation financière de nombreux événements, en particulier les structures de taille intermédiaire, reste très fragile. Le contexte économique et les changements d’habitudes des publics (réservations plus tardives, attrait pour les têtes d’affiche) font peser des incertitudes sur l’avenir du secteur malgré sa vitalité retrouvée.
2.3 Impact de la crise sanitaire sur le secteur du live
Le secteur du spectacle vivant a été l’un des plus durement touchés par la crise du Covid-19. Entre mars 2020 et juillet 2021, ce sont près de 25 000 représentations musicales qui ont été annulées ou reportées en France, soit 61% de l’offre initiale. Les pertes de chiffre d’affaires sont estimées à 2,3 milliards d’euros sur la période. Au-delà des conséquences économiques, c’est toute une chaîne de valeur qui a été fragilisée, des artistes aux techniciens en passant par les producteurs et les diffuseurs.

2.4 Perspectives de reprise et enjeux futurs
Le secteur du spectacle vivant doit relever le défi de la transition écologique, en repensant ses modèles et ses pratiques pour réduire son empreinte environnementale. Des initiatives encourageantes émergent, à l’image de la dernière tournée mondiale de Coldplay, « Music of the Spheres World Tour », qui a fait de la durabilité une priorité.
Lancée en 2022, cette tournée de 176 dates sur tous les continents a mis en place un ensemble de mesures pour réduire de moitié ses émissions de CO2 par rapport à la précédente tournée du groupe. Parmi ces initiatives : une scène alimentée par des énergies renouvelables grâce à des panneaux solaires et des batteries, un sol cinétique générant de l’électricité grâce aux mouvements des spectateurs, des vélos permettant au public de produire de l’énergie, une application mobile pour encourager l’utilisation de transports verts, …
Résultat : sur la première année, les émissions de CO2 ont été réduites de 47%. Le groupe s’est aussi engagé à planter un arbre pour chaque billet vendu, soit déjà 5 millions d’arbres. Une démarche saluée comme pionnière à cette échelle par les experts.
Malgré ces efforts, Coldplay reconnaît que l’impact carbone de la tournée reste important. Mais le groupe espère faire des émules et prouver qu’il est possible pour l’industrie du spectacle de se réinventer. Son partenaire Live Nation s’est d’ailleurs engagé à déployer ces solutions vertes pour d’autres artistes.
Cet exemple démontre que des changements sont possibles, même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. L’enjeu pour le secteur est d’accélérer sa mue écologique, en généralisant les bonnes pratiques et en innovant pour concilier spectacle et responsabilité environnementale. Un défi majeur, mais aussi une formidable opportunité de se réinventer pour construire le spectacle vivant de demain.

3. Les artistes et la création musicale en France
3.1 Nombre d’artistes et diversité des genres musicaux
En 2022, la France comptait 329 345 artistes-auteurs affiliés, dont 43 822 nouveaux ayant débuté leur carrière artistique cette année-là. Cette population d’artistes est en croissance régulière, témoignant de la vitalité créative du pays. Parmi ces artistes, environ un tiers sont des auteurs-compositeurs-interprètes.
La scène musicale française se distingue par sa grande diversité. Pas moins de 200 genres musicaux sont représentés dans la production hexagonale, du rap à la chanson en passant par l’électro, le rock ou encore le reggae. En 2022, les genres musicaux les plus populaires en France étaient la pop/variété (48% d’auditeurs), suivie du hip-hop/R&B (40%) et du rock (39%).
Cette pluralité des esthétiques est l’une des grandes forces de la scène française. En 2023, 145 productions françaises se sont classées dans les 200 meilleures ventes d’albums, soit près des trois quarts. Les artistes francophones émergents ont également confirmé, avec 23 premiers albums produits en France intégrant le top 200.
Le développement de l’écoute en streaming va de pair avec celui de la diversité des répertoires. Le top 200 streaming a représenté moins de 7% du total des écoutes sur les plateformes audio en 2023, en recul de 1.2 point par rapport à 2022. Cela montre que la progression des volumes d’écoutes profite à l’ensemble des styles musicaux et des artistes dans toute leur diversité.
Cette vitalité créative et cette diversité des genres permettent à la musique française de rayonner bien au-delà des frontières. Des artistes de la chanson et de la pop comme Angèle, Clara Luciani ou Pierre de Maere, mais aussi des rappeurs et des artistes électro connaissent un succès populaire qui ne se dément pas, en France comme à l’international.
3.2 Répartition des revenus des artistes
En 2023, malgré la reprise post-Covid, vivre de son art reste un véritable défi pour de nombreux musiciens en France. Selon une étude récente menée par l’Adami, le revenu médian des artistes-interprètes s’élève à seulement 12 800 euros par an, soit à peine plus que le seuil de pauvreté. Seul un tiers d’entre eux parviennent à vivre exclusivement de leur activité musicale.
La crise sanitaire a laissé des traces durables sur la situation financière des artistes. En 2020, leurs revenus issus du live se sont effondrés de 50% en raison des annulations massives de concerts et de festivals. Si une reprise s’est amorcée en 2022, le secteur n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant-crise en termes de cachets et de dates.
Face à cette précarité, les artistes doivent jongler avec différentes sources de revenus. Les droits d’auteur ne représentent en moyenne que 20% de leurs gains, tandis que les ventes de musique enregistrée, plombées par l’essor du streaming, pèsent pour seulement 15%. Le reste provient essentiellement des activités scéniques et d’enseignement.
Cette répartition déséquilibrée soulève la question épineuse du partage de la valeur à l’ère numérique. Alors que le streaming est devenu le premier mode de consommation de musique, les revenus qu’il génère restent très concentrés. Sur Spotify, seuls 57 000 artistes ont gagné plus de 10 000 dollars en 2022. Un chiffre en hausse mais qui reste dérisoire au regard des millions de musiciens présents sur la plateforme.
Pour tenter de rééquilibrer la donne, des initiatives émergent. Le Centre National de la Musique (CNM) plaide pour une révision des clés de répartition des revenus du streaming afin de mieux rémunérer les artistes et les ayants droit. Des alternatives au modèle du « market centric » de Spotify, jugé inéquitable, sont expérimentées par des plateformes comme Deezer.
Mais au-delà de ces ajustements, c’est un véritable changement de paradigme qui semble nécessaire pour assurer des revenus décents et pérennes aux artistes. Cela passe par une meilleure reconnaissance de leur statut, un soutien accru à la création et une régulation plus stricte des géants du streaming. Autant de chantiers qui restent ouverts en 2024 pour construire une filière musicale plus juste et plus durable.
On ne peut que comprendre que les propos de Daniel EK, CEO de Spotify, aient agacés les artistes. En effet, si même les entreprises du secteur ne valorisent pas leur travail, ceux-ci font définitivement cavaliers seuls contre un système qui les écrase. Celui-ci avait déclaré en mai 2024 que la musique ne coûtait pas grand chose à produire, musique qu’il qualifiait d’ailleurs de « contenu ».

3.3 Les défis de la professionnalisation et de la rémunération des artistes
Dans ce contexte, la professionnalisation des artistes est un enjeu majeur pour la filière. Cela passe par un accompagnement renforcé en matière de formation, d’insertion et de développement de carrière, à l’image des dispositifs proposés par les organismes professionnels (IRMA, SACEM, Adami…). La question de la juste rémunération des artistes est également au cœur des débats, avec une réflexion sur la répartition de la valeur à l’ère du streaming. Des initiatives comme le « User Centric Payment System » visent ainsi à rééquilibrer les revenus en faveur des artistes les moins streamés.
3.4 Initiatives de soutien à la création émergente
En 2023, les dispositifs de soutien à la création émergente continuent de jouer un rôle clé pour favoriser le renouvellement des talents et la diversité de la scène musicale française.
Le Fair, premier dispositif de soutien au démarrage de carrières et de professionnalisation en musiques actuelles créé en 1989, a accompagné à ce jour plus de 1500 projets avec une aide moyenne de 50 000 euros par projet. Pour sa sélection 2024, le Fair a retenu 10 artistes émergents et expérimentés dans des esthétiques variées, de la pop à l’électro en passant par le rap.
Les iNOUïS du Printemps de Bourges, tremplin national dédié aux jeunes artistes, a révélé de nombreux talents depuis sa création comme Christine & The Queens, Eddy de Pretto, Pomme ou plus récemment le rappeur Lujipeka. Pour son édition 2023, les iNOUïS ont sélectionné 33 artistes émergents qui se produiront sur les scènes du festival.
La Sacem a renforcé son programme d’accompagnement des créateurs émergents Impulse. En 2022, ce sont 186 auteurs, compositeurs et éditeurs qui ont bénéficié d’aides financières et d’un suivi personnalisé, soit une augmentation de 16% par rapport à 2021. La Sacem a aussi lancé de nouveaux programmes comme « Starter » dédié aux auteurs-compositeurs de moins de 30 ans.
D’autres initiatives régionales soutiennent l’émergence artistique, à l’image du Fonds régional pour les talents émergents (FoRTE) en Île-de-France. Doté d’une enveloppe de 1 million d’euros, FoRTE a accompagné 30 jeunes artistes franciliens en 2022 via des bourses pouvant aller jusqu’à 30 000 euros.
Enfin, de nouveaux acteurs s’engagent aux côtés des artistes émergents, comme le Centre national de la musique (CNM) qui a lancé en 2022 un Prix de l’innovation récompensant des structures innovantes dans l’accompagnement de talents. Le programme French Tech 2030 soutient aussi depuis 2023 des startups proposant des solutions innovantes pour le secteur musical.
Autant d’initiatives qui témoignent d’une volonté collective de miser sur la jeune création pour assurer le dynamisme et la vitalité futures de l’écosystème musical français. Des moyens renforcés qui devraient permettre l’éclosion de nouveaux talents dans les années à venir.
4. Les habitudes de consommation et les publics de la musique
4.1 Profil des consommateurs de musique en France
En 2023, plus des trois quarts de la population française considèrent que la musique occupe une place importante dans leur vie. Ce chiffre passe même à 90% pour les moins de 25 ans, confirmant que les jeunes sont les plus gros consommateurs de musique au quotidien.
Selon une étude Ipsos réalisée pour le Centre national de la musique (CNM), 54% de l’ensemble des auditeurs de musique sur les plateformes de streaming ont également assisté à un concert au cours des 12 derniers mois et 37% ont assisté à un festival. Cela montre le lien fort entre la consommation de musique enregistrée et l’intérêt pour le live.
Les Français passent en moyenne 20,7 heures par semaine à écouter de la musique en 2023, soit 13 chansons de plus qu’en 2022. Ils utilisent en moyenne 7 méthodes différentes pour consommer de la musique, reflétant la diversité croissante des modes d’écoute (streaming, radio, supports physiques, TV, réseaux sociaux, jeux vidéo…).
En 2023, 61% des consommateurs français, soit 27,5 millions d’individus, ont payé pour consommer un contenu musical en ligne. Cependant, si les Français sont de grands consommateurs de musique, ils sont moins enclins à en pratiquer et n’étaient que 37% à jouer d’un instrument en 2022.
Le chiffre d’affaires du streaming musical par abonnement a atteint 609 millions d’euros en 2023, en hausse de 9,5% par rapport à 2022. La France compte désormais 12 millions d’abonnés à des services comme Spotify, Deezer ou Apple Music. Le streaming représente près des trois quarts des revenus du marché de la musique enregistrée.
Les Français, en particulier les jeunes, sont plus que jamais des consommateurs quotidiens de musique en 2023. Ils diversifient leurs modes d’écoute, sont prêts à payer pour des abonnements de streaming et fréquentent aussi assidûment les concerts et festivals. Un public passionné et engagé, socle de la vitalité de l’écosystème musical hexagonal.

4.2 Le renouveau des supports physiques, porté par les jeunes générations
Alors qu’on les pensait condamnés par l’essor du streaming, les supports physiques connaissent un regain d’intérêt inattendu en France, en particulier auprès des moins de 35 ans. En 2023, le marché du CD et du vinyle a continué sa progression, représentant encore près d’un quart du chiffre d’affaires de la musique enregistrée dans l’Hexagone.
Le vinyle, objet vintage par excellence, séduit de plus en plus les jeunes mélomanes. Ses ventes ont été multipliées par dix en dix ans pour atteindre 5,4 millions d’unités écoulées en 2022. Et la tendance se confirme en 2023. Selon une étude du Syndicat National de l’Édition Phonographique (SNEP), 54% des acheteurs de vinyles ont moins de 35 ans. Ils sont attirés par la dimension esthétique et collector de ces galettes noires, mais aussi par leur qualité sonore.
Le CD, que beaucoup voyaient déjà au cimetière des technologies obsolètes, résiste lui aussi grâce aux jeunes générations. 43% de ses acheteurs ont moins de 35 ans, 20% entre 35 et 44 ans. Après 20 ans de chute libre, ses ventes sont même reparties à la hausse en 2021 (+10%), une première depuis deux décennies. En 2023, le CD reste un format apprécié pour son côté pratique et son prix souvent plus abordable que le vinyle.
Même la cassette audio, icône des années 80-90, opère un retour remarqué. De plus en plus d’artistes proposent leur album dans ce format rétro, surfant sur la vague de la nostalgie. Certains n’hésitent pas à sortir des éditions limitées, très prisées des collectionneurs.
Ce comeback des supports physiques s’explique aussi par l’attachement des fans à l’objet. Dans un monde dématérialisé, posséder l’album de son artiste préféré reste un marqueur fort d’appartenance et d’identité. Les maisons de disques l’ont bien compris et rivalisent d’imagination pour proposer des éditions toujours plus créatives et désirables.
Loin d’être has been, le CD, le vinyle et même la K7 ont donc encore de beaux jours devant eux. Plébiscités par les jeunes mélomanes en quête d’authenticité et de tangibilité, ils incarnent ce besoin de « retour au réel » qui traverse notre époque. Une tendance vintage mais résolument dans l’air du temps.
4.3 Évolution des modes d’écoute et des usages
Le développement du numérique a profondément transformé les habitudes d’écoute des Français. Aujourd’hui, 44% d’entre eux écoutent de la musique sur leur smartphone, devenu le premier support d’écoute devant l’ordinateur (33%) et la radio (30%).
Les assistants vocaux (Alexa, Google Home…) progressent également, utilisés par 15% des auditeurs. Côté usages, l’écoute de musique est de plus en plus nomade, que ce soit dans les transports, au travail ou pendant les activités sportives. Le streaming audio et vidéo s’est généralisé, représentant désormais 75% du temps d’écoute.
4.4 La place de la radio et des médias dans la découverte musicale
En 2023, malgré la domination du streaming, la radio conserve un rôle prescripteur important dans la découverte musicale en France. Selon le baromètre 2023 du Centre National de la Musique (CNM) sur les usages de la musique, 40% des Français considèrent la radio comme la deuxième source de découverte et de prescription des nouveautés musicales, juste derrière l’écoute en streaming audio ou vidéo (47%).
Cependant, ce rôle varie fortement selon les générations. Pour les 15-24 ans, la radio n’arrive qu’en 4ème position (33%) derrière les plateformes de streaming (49%), les vidéos courtes comme TikTok (41%) et les réseaux sociaux (38%). Ces derniers s’imposent comme de nouveaux vecteurs incontournables de buzz musical auprès des jeunes.
Une étude de Luminate commandée par TikTok confirme l’influence croissante de l’application sur la découverte musicale à l’échelle mondiale. Les utilisateurs de TikTok se montrent plus enclins à découvrir de nouveaux artistes et genres musicaux, y compris internationaux, que la moyenne des auditeurs.
Néanmoins, la radio demeure un média prescripteur majeur pour la chanson francophone grâce à la politique des quotas de diffusion renforcée par la loi Création de 2016. Elle permet d’exposer les nouveautés et de soutenir la diversité musicale hexagonale.
Enfin, si leur influence décline, les médias traditionnels comme la télévision et la presse restent des relais importants, en particulier pour les artistes confirmés. La presse musicale spécialisée joue notamment un rôle dans la connaissance et la découverte des talents émergents, malgré les difficultés économiques du secteur.

5. Les enjeux et perspectives du marché musical français
5.1 L’adaptation à la transition numérique
Un des enjeux majeurs pour la filière est donc d’accélérer la transition vers le numérique, en investissant dans l’innovation et en développant des offres adaptées aux nouveaux usages. Cela passe notamment par une meilleure valorisation de la musique sur les plateformes de streaming, via une révision des modèles de rémunération et un rééquilibrage du partage de la valeur.
Il s’agit aussi d’explorer de nouveaux relais de croissance, comme la réalité virtuelle, les NFT ou encore les concerts en ligne. Le livestream musical, qui s’est fortement développé pendant la crise sanitaire, apparaît ainsi comme une piste prometteuse. Selon une étude conjointe du CNM et de l’Arcom, ce marché émergent pourrait représenter jusqu’à 1,5 milliard d’euros en 2030, sous réserve d’une structuration de l’offre et d’une clarification du cadre réglementaire.
5.2 La valorisation de la diversité culturelle et de la création francophone
Autre défi pour le marché français : préserver son identité et sa diversité face à l’hégémonie des majors internationales et des grands acteurs du numérique. Alors que la part de la musique francophone ne cesse de reculer dans les classements, il est crucial de mettre en place des mécanismes de soutien à la création hexagonale.
Cela passe d’abord par un renforcement des aides à la production phonographique, aujourd’hui largement sous-dimensionnées au regard des besoins. Il faut aussi favoriser l’exposition des artistes francophones sur les plateformes de streaming, en instaurant des quotas ou des mises en avant dédiées. Le développement de labels et de distributeurs indépendants est également essentiel pour maintenir une offre alternative et découvrir de nouveaux talents.
Plus largement, c’est tout l’écosystème de la musique « made in France » qu’il faut valoriser, en soutenant l’ensemble de la chaîne de valeur, de la création à la diffusion en passant par la production et la distribution. Des initiatives comme le Centre national de la musique, lancé en 2020, vont dans ce sens en fédérant les acteurs et en mutualisant les moyens.
5.3 Les opportunités de développement à l’international
Si le marché français peine à retrouver son niveau d’avant la crise du disque, il dispose néanmoins de solides atouts pour se développer à l’international. Quatrième exportateur mondial de musique, la France peut s’appuyer sur le rayonnement de ses artistes et sur la qualité de sa filière pour conquérir de nouveaux marchés.
L’enjeu est d’abord de consolider les positions dans les territoires traditionnels d’influence, comme l’Europe et l’Afrique francophone. Mais il faut aussi explorer de nouveaux relais de croissance, en Asie, en Amérique latine ou au Moyen-Orient. Cela passe par un accompagnement renforcé des artistes à l’export, via des aides ciblées et des partenariats avec les acteurs locaux.
Le streaming offre également de nouvelles opportunités pour toucher des publics élargis, au-delà des frontières. En optimisant le référencement et la promotion des contenus francophones sur les plateformes, il est possible de capter de nouvelles audiences et de générer des revenus additionnels. Des initiatives comme la mise en place de vitrines digitales ou de playlists dédiées peuvent y contribuer.
5.4 Vers un modèle durable et équitable pour l’écosystème musical
Au-delà de ces enjeux de développement, le marché français doit aussi relever le défi d’une meilleure répartition de la valeur entre les différents acteurs de la filière. Aujourd’hui, les artistes et les producteurs indépendants peinent à vivre de leur musique, tandis que les plateformes captent une part croissante des revenus.
Pour construire un modèle plus durable et équitable, plusieurs pistes sont à explorer. D’abord, une révision des mécanismes de rémunération, avec une réévaluation des taux de redevance et une meilleure prise en compte de la diversité des usages. Ensuite, un encadrement plus strict des pratiques des plateformes, pour garantir une juste rémunération des ayants droit et une plus grande transparence dans l’utilisation des données.
Il faut aussi repenser les modes de contractualisation entre artistes et labels, en favorisant des partenariats plus équilibrés et plus transparents. Le développement de l’autoproduction et des licences Creative Commons est une autre voie pour redonner du pouvoir aux créateurs.
Enfin, la filière doit s’emparer des enjeux environnementaux et sociétaux, en réduisant son empreinte carbone et en promouvant la diversité et l’inclusion. Des initiatives comme la certification RSE des labels ou la mise en place de chartes éthiques vont dans ce sens.

Conclusion
Au terme de ce tour d’horizon, le marché français de la musique apparaît comme un écosystème en pleine mutation, tiraillé entre défis et opportunités. S’il a su résister aux crises et maintenir une certaine vitalité créative, il doit encore relever de nombreux challenges pour retrouver une croissance durable.
Accélérer la transition numérique, préserver la diversité culturelle, conquérir de nouveaux marchés, construire un modèle plus équitable… Autant d’enjeux qui appellent une mobilisation collective de tous les acteurs, des artistes aux pouvoirs publics en passant par les labels et les plateformes.
C’est à ce prix que la musique française pourra continuer de rayonner et de faire vibrer les publics, en France et dans le monde. Un défi exaltant pour une filière qui n’a pas fini de nous surprendre et de nous émouvoir.
Auteur-compositeur-interprète, Stephan Paul se distingue par ses sonorités bluesy, folk / rock et ses paroles touchantes. Son premier EP "Dualités" et le single "Je ne suis qu'un homme" sont disponibles sur toutes les plateformes. Son prochain EP "Absinthe" sera disponible dès septembre.
Enrichissant ! Merci. Pour cette analyse instructive