Absinthe de Stephan Paul, un élixir groovy et mélancolique

par | 5 Juin 2024

Temps de lecture : 9 minutes

Stephan Paul, un nom qui vous est certainement inconnu, mais qui mérite une attention particulière. Originaire de Bordeaux, cet artiste indépendant a débuté son parcours musical avec la sortie de son premier EP, « Dualités », en 2021. Il a ensuite enrichi son répertoire avec le single « Je ne suis qu’un homme » l’année suivante. Malgré sa qualité, son travail est resté sous le radar, une situation malheureusement trop commune pour de nombreux artistes indépendants.

Son nouvel EP, « Absinthe », sort le 27 septembre prochain.

Nouveau projet, nouvelle équipe

Stephan Paul a son style bien à lui et il n’en démord pas. À l’heure où les plugins, les instruments virtuels et les boucles règnent sur l’industrie de la musique et offrent l’opportunité d’emballer un album en deux temps, trois mouvements, Stephan prend son temps. Les premières mesures nous plongent dans une ambiance chaleureuse et authentique, portée par des sonorités organiques et intemporelles. La production, soignée et cohérente, se pare d’une patine délicieusement rétro, sans jamais tomber dans la caricature ou le pastiche. Ce nouvel EP emprunte tout autant à la soul, le folk et au blues qu’à toute la tradition de la chanson française avec des influences rock tranquille et l’écriture qui l’accompagne.

Stephan Paul Absinthe chronique

Avec son allure qui ne trahit pas une cinquantaine déjà entamée, Stephan Paul incarne un savant mélange entre le créatif digital et l’artiste rock. Lunettes fines, barbe soignée mais pas trop, jean porté comme une seconde peau et une veste de blazer ou un cuir selon l’envie, il arpente les rues de Bordeaux, toujours à l’affût d’une inspiration nouvelle. 

Que ce soit attablé à la terrasse d’un café, son ordinateur portable à portée de main, ou griffonnant des idées dans un carnet, il navigue avec aisance entre son job de communicant et celui d’auteur-compositeur. Cette double identité se reflète jusque dans ses accessoires : un jour un sac à dos high-tech, l’autre une guitare en bandoulière. Stephan Paul, c’est l’incarnation moderne du slasher, cet entrepreneur qui cultive une âme d’artiste, ou cet artiste qui a su garder un pied dans la réalité.

Si ses chansons plongent souvent dans la nostalgie ou explorent des sentiments graves et contrariés, sa personnalité offre un contraste saisissant. Cordial, souriant, et doté d’un sens de l’humour contagieux, il apporte légèreté et chaleur à ceux qui l’entourent, équilibrant ainsi les profondeurs émotionnelles de sa musique avec une présence vivante et engageante.

Pour ce nouvel EP, Stephan a choisi de travailler avec le Studio Baboo, installé à Astaffort et dirigé par Esthen Dehut et Aurélie Cabrel, fille du célèbre chanteur. 

Musique et Arrangements

La collaboration avec ce nouveau studio a permis à Stephan de s’entourer d’une nouvelle équipe de musiciens. On y retrouve le batteur Nathanaël Buis, à la maîtrise impeccable, le pianiste Nicolas Auger, d’une grande sensibilité et à l’écoute, et un guitariste bien connu de la scène française pour avoir tourné avec quelques-uns des plus grands noms de la chanson, Sébastien Chouard.

L’apport de Sébastien est crucial et mérite une attention toute particulière. Sa présence sur l’EP n’est pas seulement un atout musical, c’est une véritable déclaration d’intention artistique. Chouard, connu pour sa collaboration avec des grands noms comme Gérald De Palmas, Johnny Hallyday, Obispo et bien d’autres, apporte son toucher exceptionnel et son groove caractéristique.

« Je ne voulais pas changer pour changer. J’ai aimé bosser avec mon équipe sur le premier EP mais je crois que j’avais besoin de me confronter à un nouveau challenge, de nouvelles personnalités et une façon de travailler différente. Et plus que tout le reste, c’est la direction d’Esthen qui a fait la différence. Pour moi, c’était réconfortant de pouvoir m’appuyer sur lui, sa vision et son expérience ».

Esthen Dehut Baboo Stephan Paul Absinthe

Retour aux sources

Pour enregistrer « Absinthe », Stephan Paul s’est aventuré dans un lieu chargé d’histoire et de musique : le studio perso de Francis Cabrel, niché au-dessus des chais de sa propriété viticole à Astaffort, un petit coin du Lot-et-Garonne où Cabrel a déposé ses valises depuis de longues années. C’est dans ce repaire, entre les murs (de poussière) imprégnés de mélodies et d’histoires, que l’EP a pris vie.

Imaginez un peu l’atmosphère de ce studio, avec ses instruments vintage, véritables pièces de collection, qui racontent leur histoire à chaque note jouée : un authentique orgue Hamon, un clavier Rhodes, un Wurlitzer, et même un piano à queue Fazioli. Sans oublier la collection de guitares électriques et acoustiques, chacune avec son caractère unique. 

L’EP porte l’empreinte d’une musicalité soignée et d’un attachement aux sonorités organiques. C’est dans ce cadre, véritable vivier créatif, que Stephan, épaulé par la direction artistique d’Esthen Dehut, a su trouver l’équilibre parfait entre ses désirs musicaux et une ambiance qui tient la route. Un mélange habile de tradition et de modernité, où chaque piste de l’EP s’est imprégnée de cette atmosphère unique.

C’est ce cadre, un peu hors du temps, qui a donné à « Absinthe » sa couleur et son âme. Cette fusion entre passé et présent crée une toile de fond idéale pour ses compositions.

Les thèmes de l’EP Absinthe

Au rythme des fêlures et des bonheurs de la vie, Stephan pose ses textes telle une série de tableaux, chacun racontant une histoire touchante.

Il nous raconte :

« On puise en nous pour écrire. Souvent dans des recoins pas très heureux. Il y a des sentiments et des émotions qui m’inspirent facilement, certainement parce que je lutte avec eux. La culpabilité, les regrets, le manque de confiance, la peur de ne pas être aimé ou apprécié, etc. Ce sont des thèmes universels. Toutes ces failles sont autant de terrains créatifs dans lesquelles je soigne mes propres blessures. Et il y a les histoires heureuses aussi, la légèreté, l’amour et la tendresse des sentiments. Il y a des bouts de moi dans chaque chanson, même s’il m’a parfois fallu dévier un peu mon histoire. Par exemple, je n’ai jamais vécu de rupture amoureuse et ce sont des amitiés étiolées qui m’ont amené à être en mesure d’exprimer la rupture dans « Absinthe«  ou « Se dire au revoir« . »

Stephan Paul Ethen Dehut Sébastien Chouard

La chanson titre, « Absinthe« , est un parfait exemple de cette mosaïque de thématiques. Cette balade, un rien bluesy, s’impose par son rythme langoureux et terriblement mélancolique. L’artiste y dépeint le retour inattendu d’un amour perdu, réveillant un tourbillon de sentiments enfouis et chamboulant un fragile équilibre émotionnel. Bien que le thème de l’amour perdu et retrouvé ne soit pas nouveau, la chanson se distingue par son efficacité redoutable. Les souvenirs se fondent dans une mélodie douce-amère et captivante. Le riff acoustique, à la fois simple et marquant, s’ancre immédiatement dans la mémoire, illustrant le talent du compositeur pour créer des mélodies qui résonnent longtemps après la dernière note.

« Fallait-il vraiment que je me souvienne, 
De tes longs soupirs qui me détiennent, 
Captivé par ta cynique beauté. »

« Avec l’âge, il y a des thématiques qui s’imposent, comme les regrets, la culpabilité, le fait d’être passé au travers de choses importantes dans la vie, de ne pas avoir consacré du temps à l’essentiel ou à chercher davantage à accomplir certains de mes rêves. »

C’est ce que l’on peut ressentir dans « Cœur de Faïence« . Stephan y aborde la monotonie d’un quotidien sans saveur, les remords, le poids des erreurs et leurs conséquences. La chanson est une introspection touchante, un miroir de l’âme de l’artiste, reflétant son parcours personnel et ses questionnements.

« « Cœur de faïence » résonne tout particulièrement avec mon parcours. Se lancer si tard dans une aventure musicale laisse évidemment un goût amer, celui de n’avoir pas commencé plus tôt. J’ai toujours une activité à côté, je ne vis pas de ma musique, et si j’aime mon travail et les gens avec lesquels je le vis, la musique est une passion au-dessus du reste et ne pas avoir tenté l’aventure plus jeune est un profond regret. »

Si le sujet est grave, il est emballé avec soin et délicatesse pour en sortir le sacro-saint groove. Comme souvent chez Stephan, le titre est porté par un lick à la guitare acoustique auquel la batterie et la basse viennent donner du corps. Sébastien Chouard sort les riffs et fait rugir sa Strat. Difficile de ne pas taper du pied et se laisser embarquer par les contusions empathiques de cette chanson.

« Comme l’impression d’occuper la vie d’un autre, 
Comme si j’portais le poids de ses fautes »

Au cœur des désillusions, s’inscrit aussi la bataille qui fait rage en chacun d’entre nous, cette lutte perpétuelle entre nos aspirations les plus nobles et les parts d’ombre qui nous habitent. C’est ce qu’aborde « Je crois que j’ai ça en moi » qui est né après une lecture dans laquelle l’apôtre Paul déclare : « Car le bien que je veux, je ne le pratique pas; mais le mal que je ne veux pas, je le fais ».

« Ce passage résonne en moi depuis toujours. Il reflète tellement la réalité de la majorité d’entre nous. J’ai un signe dans ma vie qui ne souffre d’aucune défaillance : quand je suis en colère contre les autres, je sais qu’en réalité, je suis en colère contre moi-même et que j’ai des choses à régler intimement. »

Nicolas Auger piano Stephan Paul Absinthe

Stephan, bien que ne s’identifiant pas comme un grand performeur vocal, utilise sa voix de manière remarquable pour raconter des histoires et toucher des émotions avec sincérité. Les couplets sont plus slammés que chantés. Les refrains sont comme un appel au secours, exprimant le besoin d’être aimé quand l’estime de soi est au plus bas. La section rythmique ultra-efficace procure à ce morceau une assise groovy qui donne envie de remuer les épaules et de dodeliner de la tête tandis que les guitares de Sébastien Chouard expriment si bien la colère et la tourmente de l’âme de l’auteur.

« Et si j’te fais du mal, que j’dis des trucs infâmes, 
c’est moi que j’peux pas encaisser »

On en sort un peu sonné, hagard, et il fallait un titre comme « Je n’aime pas quand tu pars » pour apporter un peu de légèreté et de douceur. Stephan nous parle de l’amour qui nous donne l’impression de ne pas exister sans l’autre, ceci dans une ambiance feutrée, semblant être jouée au fond d’un piano bar.

Il ne manque que l’odeur des cigares et du whisky dont Stephan est friand. C’est l’occasion d’entendre les musiciens aux commandes d’instruments d’exception, comme ce piano à queue Fazioli et une superbe guitare jazz Jacobacci, modèle Sacha Distel, qui sonnent tous deux merveilleusement bien entre les doigts habiles de Nicolas Auger et Sébastien Chouard.

Les descentes et montées chromatiques qui ponctuent le titre sont comme des cailloux semés sur la route pour guider l’auditeur et le prendre par la main pour l’inviter à danser. Le texte, plein d’humour et de douceur, contraste avec les titres précédents et démontre toute la diversité de l’artiste. Rappelons-nous : son premier EP s’appelait « Dualités ».

« Quand tu m’laisses seul, que tu t’en vas,
Les minutes qui passent se moquent de moi »

« Je t’aime sans fin » est une ode empreinte de tendresse à l’amour qui ne se flétrit pas, que le temps et les épreuves n’égratignent pas. Dans cette harmonie crépusculaire, on imagine alors un vieil homme déclarant tout son amour à celle qui a partagé toute sa vie. Cette chanson aux accents gainsbouriens, qui repose sur un arpège de guitare acoustique très doux posé sur un orgue Hamon, nous fait entrer dans l’intimité d’un couple qui a tout traversé, les bonheurs et les entraves de la vie, en gardant un amour infaillible. Le refrain est un petit trésor mélodique et l’interprétation de Stephan apporte ce qu’il faut de fragilité et de douceur pour transmettre de belles émotions avec subtilité.

« Et si les étreintes de nos corps éteints,
Ne sont que les ombres d’un passé lointain,
Moi je t’aime sans fin. »

L’EP s’achève sur une note poignante avec « Se dire au revoir ». Cette chanson est née d’un moment spontané et chargé d’émotion entre Stephan et le pianiste Nicolas Auger. Initialement conçue pour être jouée à la guitare, cette pièce a pris une tournure inattendue lorsqu’elle a été interprétée au piano pendant les répétitions, capturant une sensibilité brute et authentique. Le directeur artistique, Esthen Dehut, saisissant l’intensité du moment, a immédiatement décidé d’enregistrer cette version piano-voix, dans un élan de spontanéité visant à préserver l’émotion palpable de la performance.

Stephan Paul Nicolas Auger Absinthe

Ce qui en résulte est un morceau dépouillé, où Stephan se livre à cœur ouvert, sa voix se mêlant harmonieusement au piano pour créer une atmosphère intime et touchante. La chanson parle d’une rupture élégante, un adieu doux-amer empreint d’une tendresse rare. Les paroles, évoquant la fin d’une relation sans pertes ni fracas, résonnent avec une sincérité désarmante, faisant de « Se dire au revoir » un trésor d’authenticité et un point d’orgue parfait pour l’EP.

« Se dire que c’est déjà une chance,
Et avec un peu d’élégance, se dire au revoir »

Vous trouverez également sur l’EP « Je ne suis qu’un homme », un single sorti fin 2022 et produit au studio JMG près de Bordeaux avec la première équipe de musiciens. C’est un titre pop chaloupé dont le refrain s’installe durablement dans votre esprit et que vous vous surprendrez à fredonner durant plusieurs jours.

Sa dimension tubesque et résolument FM n’empêche pas qu’il s’agit d’un morceau vraiment intéressant, avec une section rythmique qui groove à mort et un riff acoustique qui vous embarque immédiatement. Stephan nous y parle du regard de l’autre, de l’acceptation de soi malgré le rejet et les obstacles, le tout avec un étonnant optimisme. Ça pourrait ressembler à un mix surprenant de De Palmas pour la musique et Michel Fugain pour l’énergie et la voix.

Stephan Paul, poète éclectique

« Absinthe » est un véritable trésor de sincérité, où se conjuguent poésie, mélancolie et une bonne dose de groove salvateur. Embrassant des tonalités pop, folk, soul bluesy, Stephan ne se contente pas de chanter des chansons, il nous livre une part de lui-même, ses réflexions sur la vie, l’amour, les regrets et ses luttes intérieures. La texture sonore de l’album, enrichie par les contributions de musiciens talentueux et l’utilisation d’instruments vintage, crée une ambiance unique et intemporelle.

Ses textes résonnent d’une vérité profonde, et sa musique, loin des tendances, s’ancre dans une tradition musicale riche et expressive. « Absinthe » est une expérience émotionnelle, un reflet des combats et des espoirs qui nous animent tous.

Sans avoir vocation à révolutionner le monde de la musique, Stephan nous offre un nouvel album cohérent, mélancolique et très réussi. Et par les temps qui courent, c’est déjà beaucoup.

Écrit par Albéric Malherbe

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2 Commentaires

  1. Mf catreux

    Bravo 👏Stephan
    Super pour ton second Ep
    Tes mélodies, ta sensibilité artistique
    Vivement septembre

    Réponse
  2. Valerir Oudiou

    Que du bonheur de voir une personne que l’on apprécie, réaliser son rêve de plus en plus chaque jour , tout doucement mais sûrement comme je l’ai toujours dit, une évidence qui n’était qu’une question de temps

    Réponse

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